Le harcèlement (Partie V – Le harcèlement sexuel)
A/ Introduction au harcèlement sexuel dans les relations de travail
1/ Sur les formes du harcèlement moral
Aucune liste de faits ne caractérise le harcèlement sexuel.
Les actes de harcèlement sexuel sont susceptibles d’emprunter de multiples formes tels que :
- Ordre, menace, propos, humiliation, contrainte, insulte, pression, geste, chantage, attitude, …
Dans le cadre des relations de travail, le harcèlement sexuel peut prendre des formes diverses : chantage à l’embauche ou à la promotion, menaces de représailles en cas de refus de céder à des avances sexuelles, etc.
2/ Sur les cibles potentielles du harcèlement moral
Aucun employé ne doit subir des faits de harcèlements sexuels ou assimilés au harcèlement sexuel.
Une femme sur cinq âgée de 25 à 34 ans a subi un rapport sexuel forcé ou une tentative, d’après une grande enquête réalisée en France avant l’avènement des mouvements de libération de la parole comme #metoo et #balancetonporc.
L’auteur du harcèlement peut être l’employeur, mais également un collègue de la victime, un consultant chargé du recrutement, un client de l’entreprise, etc.
Victime ou agresseur, les deux sexes sont concernés.
Il appartient à l’employeur de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner.
S’il est commis par un salarié, celui-ci sera, en outre, passible d’une sanction disciplinaire prise par l’employeur.
B/ Sur la difficulté de parler
Vous l’avez compris parler de harcèlement est difficile.
Prouver qu’on en est victime l’est encore plus.
Les démarches à suivre pour sortir du silence et de l’isolement sont longues, compliquées et impénétrables (sans jeu de morts) :
- Une main aux fesses sans consentement, c’est une agression sexuelle ;
- Une série de blagues grivoises visant la même personne pour la mettre mal à l’aise, c’est du harcèlement.
L’on n’a pas tout le temps des faits graves
- Pour l’une, c’était du « ma douce », « ma chérie » à longueur de journées ;
- Des propositions de relations sexuelles en échange de « plus de contrats en CDD » ;
- Ou encore des blocages physiques pour obtenir un baiser ;
- Pour l’autre, on lui propose de descendre dans la cave pour « faire des choses »;
- Quant à la dernière, on lui a carrément suggéré une fellation en récompense d’un changement de poste. Le tout agrémenté de gestes déplacés insistants.
Les deux sont punissables :
- Pénalement, après dépôt de plainte ;
- Selon le code du travail, en saisissant le conseil des prud’hommes au niveau de l’entreprise, l’employeur ayant l’obligation d’agir « Il doit en effet assurer la sécurité de tous ses salariés ».
Je vous rappelle, si besoin, que séduction et harcèlement sont des notions fondamentalement différentes :
- Dans un rapport de séduction, le ressenti est positif ;
- Si l’on se sent mal ou que l’on hésite, c’est que la relation est inégalitaire. Il n’y a alors plus de rapport de séduction dans lequel l’autre chercherait à plaire, mais un rapport de pouvoir.
C/ Sur la difficulté d’empêcher l’harceleur de nuire
« Au moindre écart de comportement, il faut agir ».
Une fois que le harcèlement sexuel s’est installé, on a de plus en plus de mal à en parler.
D’autant plus que la parole de la femme victime de harcèlement est constamment mise en doute…
Les différentes étapes
(i) Sur l’échange avec quelqu’un d’autre
La première étape pour se remettre, c’est de rompre l’isolement, donc de raconter ce que l’on vit, ce qui peut s’avérer difficile sur ces sujets aussi personnels et sensibles.
D’où l’importance de trouver un interlocuteur bienveillant et compréhensif.
(ii) Sur l’entreprise ou son employeur
Il faut ensuite alerter l’entreprise.
A savoir la direction, de toute façon, puis, selon la taille de la société, les délégués du personnel, les syndicats, le service RH…
C‘est évidemment une décision difficile à prendre, surtout quand l’auteur de la remarque déplacée est un supérieur et qu’on craint de perdre son emploi.
Dans certaines entreprises, des protocoles ont été mis en place, parfois même des cellules d’écoute.
Les nouveaux comités sociaux et économiques (CSE) ont ainsi pour obligation de désigner un référent harcèlement sexuel.
Pour les entreprises d’au moins 250 salariés, un deuxième référent est prévu, issu des RH.
(iii) Sur le troisième cercle à prévenir, les services de l’État
La Médecine et l’inspection du travail, ainsi que le défenseur des droits, auquel on pense moins.
La médecine du travail est importante.
Elle inscrira une note dans le dossier médical, qui constituera une trace des démarches entreprises pour se protéger.
L’inspection du travail, si elle s’empare du sujet, fera une enquête dans la communauté de travail.
En cas de procès, au pénal ou aux prud’hommes, c’est un élément important du dossier.
Il est important d’avoir des conseils extérieurs, même si l’entreprise propose un arrangement.
Se contenter d’empêcher l’harceleur de nuire, c’est une manière d’étouffer l’affaire.
Il faut aussi faire valoir ses droits, y compris financiers.
Notamment dans les cas où l’harceleur, dans une position hiérarchique supérieure, bloque toute augmentation de salaire ou progression de carrière.
(iv) Sur l’aide personnel le Psychologue
Aller voir un psychologue est aussi une bonne idée.
Il aidera à décortiquer les mécanismes d’emprise.
Mais, ces choses-là vont crescendo, jusqu’à des situations que la personne n’aurait jamais imaginé accepter.
D/ Sur les preuves à apporter
A ce sujet, moi je crois à une chose la mémoire est perméable.
Donc il faut « Tout noter, jour après jour ».
Il faut noter tout ce qui se passe, jour après jour, pour que le récit soit solide et ne soit pas démoli par l’employeur ou par l’agresseur.
Ce travail est déterminant :
- SMS, captures d’écran, e-mails, tout doit être conservé ;
- L’idéal est d’envoyer des messages à l’agresseur, sur le modèle « Tel jour, tu m’as dit cela, et j’ai été choquée, je te demande de ne pas recommencer »;
- Et si on s’inquiète des conséquences d’un tel envoi, on raconte l’histoire à une collègue par e-mail ;
- Cette trace écrite et datée constituera l’un des indices qui convaincront un tribunal.
Pas d’erreur de date car l’avocat de la partie adverse s’engouffrera dans la faille.
Les témoignages de collègues sont bien sûr recommandés, mais ils sont rares.
Quant aux enregistrements, ils ne sont valables que devant un tribunal pénal, pas aux prud’hommes.
Ils doivent être réservés aux cas les plus extrêmes, par exemple une convocation ou un rendez-vous impossible à décliner avec l’harceleur.
Lancer quelques sondes exploratoires peut être utile pour vérifier si quelqu’un vit la même situation.
Même s’il ne s’agit pas du même harceleur, quand il y a plusieurs victimes dans la même structure, c’est révélateur : cela signifie que l’entreprise laisse faire.
Et cela ouvre la porte à une action collective, plus facile à mener, plus facile à gagner.
E/ Sur la définition légale du harcèlement sexuel
La notion de harcèlement sexuel au travail est apparue en 1992 dans le Code du travail avec l’article L. 122.46.
La loi incrimine clairement de simples propos ou comportements à connotation sexuelle tels que propos grivois, gestes, attitudes sans qu’il ne soit besoin de démontrer la survenance d’agissements physiques tels que des attouchements.
Par ailleurs, il est précisé qu’il suffit que les comportements revêtent une connotation sexuelle pour que le harcèlement soit caractérisé.
Sur l’ensemble des articles cités, infra, et leurs applications, la jurisprudence de la chambre criminelle de cassation, abondante sur le harcèlement sexuel, ne s’est pas départie de ces choix.
Il peut être cité les exemples suivants :
- Comportement qualifié de harcèlement sexuel
- Cour de cassation, arrêt n° 14-85.591, du 18 novembre 2015 :
« Attendu que, pour confirmer le jugement, l’arrêt retient que M. X… a, de manière insistante et répétée, en dépit du refus des salariées de céder à ses avances, formulé, verbalement ou par messages électroniques (SMS), des propositions explicites ou implicites de nature sexuelle, et adopté un comportement dénué d’ambiguïté consistant notamment à tenter de provoquer un contact physique ; que les juges ajoutent que les salariées ont souffert de cette situation au point d’alerter l’inspection du travail » ;
« Attendu qu’en l’état de ces énonciations, desquelles il résulte que le prévenu a, en connaissance de cause, même s’il a mésestimé la portée de ses agissements, imposé aux parties civiles, de façon répétée, des propos ou comportement à connotation sexuelle les ayant placées dans une situation intimidante, hostile ou offensante objectivement constatée, la cour d’appel a fait l’exacte application de l’article 222-33 du code pénal ».
- Faits qui relèvent à la fois de harcèlement sexuel et de harcèlement moral
- Cour de cassation, arrêt n° 07-42920, du 23 septembre 2008 :
« Mais attendu qu’appréciant souverainement la valeur probante des éléments qui lui taient soumis, la cour d’appel a retenu, à la charge du chef d’entreprise, des agissements répétés de nature à caractériser un harcèlement moral et sexuel ».
Le harcèlement moral, tout comme le harcèlement sexuel, se retrouve dans le Code du travail mais aussi dans le Code pénal.
(i) Le harcèlement sexuel est défini par l’article 222-33 du Code pénal :
- Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit
- Portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant ;
- Soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
L’infraction est également constituée :
1° Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;
2° Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.
- Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers»
III. – Les faits mentionnés aux I et II sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
Ces peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque les faits sont commis :
1° Par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
2° Sur un mineur de quinze ans ;
3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur ;
5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ;
6° Par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ;
7° Alors qu’un mineur était présent et y a assisté ;
8° Par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.
Enfin, les personnes physiques coupables des infractions prévues aux articles antérieurs encourent également des peines complémentaires.
La juridiction peut notamment ordonner l’affichage du jugement aux frais de la personne condamnée dans les conditions prévues à l’article 131-35 du Code pénal et son insertion, intégrale ou par extraits, dans les journaux qu’elle désigne.
(ii) Cette définition est reprise, dans des termes sensiblement identiques, par l’article L. 1153-1 du code du travail, selon lequel :
- « Aucun salarié ne doit subir des faits :
- Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
- Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.»
Application des articles L. 1153-1 à 6 du Code du travail.
- « Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l’article L. 1153-1, y compris, dans le cas mentionné au 1° du même article, si les propos ou comportements n’ont pas été répétés ».
- « Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés ».
- « Toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L. 1153-1 à L. 1153-3 est nul ».
- « L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner ».
- « Dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l’embauche, les personnes mentionnées à l’article L. 1153-2 sont informées par tout moyen du texte de l’article 222-33 du code pénal ainsi que des actions contentieuses civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel et des coordonnées des autorités et services compétents. La liste de ces services est définie par décret ».
« Conformément à l’article 105 IV de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, les présentes dispositions entrent en vigueur au plus tard le 1er janvier 2019.
- Dans toute entreprise employant au moins deux cent cinquante salariés (250) est désigné un référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes.
Conformément à l’article 105 IV de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, les présentes dispositions entrent en vigueur au plus tard le 1er janvier 2019 ».
- « Tout salarié ayant procédé à des faits de harcèlement sexuel est passible d’une sanction disciplinaire ».
Est aussi condamné, l’assimilation au harcèlement sexuel consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle.
F/ Sur les obligations de l’employeur en matière de harcèlement sexuel
- Article L. 1153-5 alinéa 1 du Code du travail :
- « L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner ».
- Désigner un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et agissements sexistes ;
- Mentionner dans le Règlement Intérieur de l’entreprise les dispositions du Code du travail relatives aux harcèlements sexuels et agissements sexistes ;
- Élaborer une procédure interne de signalement et de traitement de faits de harcèlement sexuel ;
- Évaluer le risque de harcèlement sexuel et agissement sexiste.
G/ Sur les recours des victimes et témoins
1/ Signaler à
- Son supérieur hiérarchique ;
- Un membre du service RH ;
- Au référent (s’il existe) ;
- Son employeur ;
- Au délégué syndical ;
- A la délégation du personnel.
2/ Se faire accompagner
- Par le médecin du travail ;
- Par l’inspection du travail ;
- Par les services du Défenseur des Droits ;
- Par le 3919 -Violences femmes Info ;
- Par des associations spécialisées.
3/ Faire valoir ses droits et sa protection
- Mettre un terme au harcèlement par l’employeur ;
- Sanctionner l’auteur ;
- Protection contre le licenciement et contre toutes mesures discriminatoires ;
- Droit au retrait ;
- Conseil de Prud’hommes.