Le droit de travail « négocié » (Partie II)
Le droit de travail négocié et la primauté de l’accord d’entreprise
c) Sur les conséquences de ces réformes
(i) Sur la modification du droit commun du travail
Cette profonde réforme de la place de la négociation collective, illustre une volonté politique de favoriser un droit du travail « négocié » au détriment d’un droit commun du travail, applicable à tous.
Chaque entreprise pourra ainsi instaurer des règles qui lui seront propres, dérogatoires au droit commun, sans nécessairement avoir à respecter un seuil minimum de garanties global.
(ii) Sur la perte de protection du salarié
L’accord d‘entreprise pourra en réalité recouvrir des situations très variées et permettra à l’employeur de modifier certaines clauses, jusqu’ici considérées comme essentielles du contrat de travail telles que leur rémunération ou l’aménagement de leur temps de travail.
Le salarié ne sera donc plus protégé par son contrat de travail, puisque ces règles collectives s’imposeront à lui, sauf s’il déclare s’y opposer.
Il ne disposera que d’un mois pour exprimer son refus, et surtout, ce refus pourra constituer un motif valide de licenciement.
Licencié dans ces conditions, il ne bénéficiera pas des mesures de sécurisation des parcours professionnels prévues en cas de motif économique.
Bref : soumission ou pôle emploi…
Cette mesure constitue incontestablement un bouleversement qui ruine le principe de libre négociation des contrats et précarise violemment les salariés.
En effet, signer un contrat contenant des clauses protectrices ne signifiera plus, pour le salarié, ni sécurité ni sérénité, puisque la négociation collective pourra défaire ce que la négociation individuelle aura construit.
Certes, tous les aspects du contrat ne seront pas précarisés, et on peut s’attendre à une réaction de la jurisprudence, mais l’inversion du principe est là.
(iii) Sur l’applicabilité par l’effectif des sociétés
Les accords d’entreprise, qui peuvent donc déroger au droit commun, seront désormais conclus selon des conditions qui diffèrent selon l’effectif de l’entreprise, hors du contrôle obligatoire et/ou de la présence syndicales qui en conditionnaient jusque-là le caractère normatif.
- Dans les entreprises dont l’effectif est inférieur à 20 salariés, lorsqu’elles n’auront ni délégué syndical ni élu, il sera désormais possible pour l’employeur de proposer, sur tout sujet ouvert à la négociation, un projet d’accord à ses salariés, qui pourront le ratifier à la majorité des deux tiers (articles L. 2232-21 -22 – 23 du Code du travail).
- Le rapport de force déséquilibré, inhérent à toute relation de travail, exacerbé par l’absence de contrôle syndical, fera la part belle aux Employeurs anti-syndicats et conduira bien des salariés à ratifier des accords d’entreprise contraires à leurs intérêts;
- Pour les salariés en désaccord, s’appliquera ensuite la loi injuste des minorités : se soumettre ou partir.
- Dans les entreprises dont l’effectif est compris entre 11 et 49 salariés, les accords d’entreprise seront également négociés et conclus, sauf si elles disposent d’un délégué syndical (articles L. 2232-23-1 du Code du travail).
- Soit par un ou plusieurs salariés mandatés par une organisation syndicale: l’accord devra être soumis au vote majoritaire des salariés ;
- Soit par un ou des membres de la délégation du personnel du comité social et économique: l’accord devra être ratifié par les membres du comité social et économique, représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections.
- Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, les accords d’entreprise seront négociés et conclus, sauf bien entendu présence d’un ou plusieurs délégués syndicaux :
- Par les membres du Comité social et économique, mandaté par une organisation syndicale représentative: l’accord devra être soumis à l’accord de la majorité des salariés.
- A défaut de membres du Comité social et économique disposés à négocier, par un ou plusieurs salariés mandatés par une organisation syndicale représentative : l’accord devra être soumis à l’accord de la majorité des salariés.
d) Sur le dumping social
De plus, les entreprises ne seront pas toutes soumises au même corpus de règles, ce qui, dans un contexte de concurrence féroce, favorisera un dumping des conditions d’emploi et de travail.
e) Sur le fonctionnement des syndicats
Les organisations syndicales et les salariés craignent d’y perdre leur socle de protection minimale, sans contrepartie certaine.
En effet, la réforme favorise l’émergence d’un droit du travail « sur mesure » propre à chaque employeur, adaptable aux exigences du marché, dans lequel les risques économiques pèseront en majeure partie sur celui qui n’a à négocier que sa force de travail.
Cette mutation postule l’existence d’un climat de confiance entre les acteurs du monde du travail (employeurs, salariés et organisations syndicales…) et un dialogue pérenne, dans un rapport de force équilibré.