Le statut et les relations des travailleurs indépendants avec les « plateformes »
Avec ce qu’on appelle « l’ubérisation » de la société, le statut des travailleurs a changé. L’apparition des plateformes mettant en contact des clients et des travailleurs a changé l’organisation du travail.
La question du statut des travailleurs pour les plateformes se pose partout dans le monde.
La cour de justice de l’union européenne a fait, depuis peu apparaître la notion de faux indépendants, semant le doute sur les qualifications juridiques (CJUE, 4 décembre 2014, FNV KUNSTEN INFORMATIE EN MEDIA).
Certains pays comme l’Angleterre, l’Espagne ou l’Italie ont créé des statuts spéciaux, entre le salariat et l’entreprenariat.
En France, la question de ce statut s’est longtemps posée, faisant couler beaucoup d’encre.
Le législateur français a dû prendre en charge cette question. De nombreux acteurs du droit et de la société civile se sont interrogés pour savoir si ces indépendants n’étaient pas de faux salariés.
Cette interrogation a trouvé un début de réponse avec un arrêt de la cour de cassation du 28 novembre 2018 reconnaissant un indépendant travaillant pour une plateforme comme un salarié. Cela devrait se poursuivre.
Le contrat de travail est habituellement défini comme un contrat par lequel une personne physique s’engage à travailler pour le compte d’une autre personne, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant rémunération.
Habituellement la jurisprudence utilise des critères bien précis pour savoir s’il y a ou non un lien de subordination permettant de supposer l’existence d’un contrat de travail.
Il s’agit de savoir si le travailleur est soumis au pouvoir de direction, de contrôle et de sanction d’une personne qui se révèlerait être son employeur (Cass. Soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187).
Le fonctionnement des plateformes peut nous faire supposer que ces conditions sont remplies, qu’il y a subordination et ainsi contrat de travail. Cela d’autant plus que les travailleurs indépendants sont dans l’impossibilité de travailler sans la plateforme.
Ils sont contrôlés dans leurs actions, le temps d’exécution des commandes et sont pénalisés s’ils ne remplissent pas les objectifs fixés.
Mais plusieurs éléments peuvent également faire supposer le contraire.
Tout d’abord l’inscription au RCS de ces travailleurs entraîne une présomption de non salariat.
Ensuite les travailleurs pour des plateformes ont fait leur entrée dans le Code du travail aux articles L. 7341-1 et suivants.
Ils ne sont pas considérés comme des salariés mais se distinguent des autres travailleurs indépendants.
Le Code du travail organise une responsabilité sociale des plateformes envers ces travailleurs.
Ainsi une sorte de droit de grève leur est reconnu ainsi que le droit de constituer des syndicats.
Les plateformes sont tenues de prendre en charge les cotisations d’assurances couvrant le risque d’accident des travailleurs.
Pourtant, il est de jurisprudence constante que « L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. »
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
C’est l’existence d’un tel lien qui fera supposer qu’il y a salariat alors que les parties ont choisi de contracter un contrat autre qu’un contrat de travail.
La chambre sociale de la cour de cassation prend sa place dans le débat en reconnaissant dans le travailleur indépendant un salarié déguisé.
« Viole l’article L.8221-6, II du code du travail la cour d’appel qui retient qu’un coursier ne justifie pas d’un contrat de travail le liant à une société utilisant une plate-forme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant sous le statut de travailleur indépendant des livraisons de repas, alors qu’il résulte de ses constatations que l’application était dotée d’un système de géo-localisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et que la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier. » (Cass. Soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079)