Le harcèlement (Partie II – Le harcèlement moral)
A/ Introduction au harcèlement moral dans les relations de travail
a/ Sur le préambule
Avant l’entrée en vigueur de la loi relative à la modernisation sociale du 17 janvier 2002, la jurisprudence sanctionnait déjà les pratiques jugées abusives, sans pour autant faire expressément référence à la notion de harcèlement moral Cass.soc.13 mai 1997 n°1985 D,
b/ Sur les formes du harcèlement moral
Aucune liste de faits ne caractérise le harcèlement moral.
Le harcèlement moral peut prendre des formes très différentes :
· Insultes, critiques incessantes, mise au placard, dénigrements et brimades, intimidations ou encore humiliations publiques, critiques injustifiées, manque de respect, mesures vexatoires, tâches dévalorisantes, agressivités, avertissements infondés, déclassement, pression disciplinaire, sarcasmes répétés, brimades, propos calomnieux, insultes, menaces, refus de toute communication, conditions de travail dégradantes, absences de consignes ou consignes contradictoires, , privation d’outils de travail, privation de travail ou charges excessive abusive, tâches dépourvues de sens ou sans rapport avec les fonctions, tâches dépassant ses capacités, …
- A cela l’on peut rajouter le burnout et le bore-out.
c/ Sur la définition du burnout
Le burnout se traduit littéralement par « se consumer » comme une bougie qui brûle petit à petit jusqu’à s’éteindre.
Le burnout est un état d’épuisement physique, émotionnel et mental liée à une dégradation du rapport d’une personne à son travail.
Plus globalement c’est un mal-être général dont l’origine est le plus souvent attribuée à la vie professionnelle.
d/ Sur la définition du bore-out
Il consiste pour un salarié à souffrir d’épuisement professionnel par l’ennui, c’est l’inverse du burn-out.
Les juges considèrent que le bore-out peut être constitutif de harcèlement moral dès lors que l’employeur ne démontre pas que le bore-out n’est pas lié à des agissements constitutifs d’un harcèlement moral et que la décision de licencier le salarié est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (CA Paris 2 juin 2020, RG 18/05421).
- A cela l’on peut rajouter le harcèlement discriminatoire
Ce type de harcèlement se rattache au texte traitant de la discrimination.
Il ne nécessite pas que soient réunis les 3 éléments énoncés par l’article L. 1152-1 du Code du travail pour caractériser le harcèlement moral.
En substance, les 3 éléments qui caractérisent le harcèlement moral sont :
- Des agissements répétés;
- Des agissements intentionnels ou non, occasionnant une dégradation des conditions de travail ;
- Cette dégradation des conditions de travail « est susceptible » de causer un dommage au salarié soit en portant atteinte à ses droits et à sa dignité, soit en altérant sa santé physique ou mentale soit par la compromission de son avenir professionnel.
Ainsi, un seul acte suffit à caractériser le harcèlement discriminatoire dès lors que cet acte peut être relié à un des 18 motifs prohibés énoncé par l’article L. 1131-1 du Code du travail qui définit la discrimination.
Pour simple rappel l’article L.1132-1 du Code du travail dispose :
- « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d’un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français ».
Pour exemple, on peut citer des propos racistes sur le lieu de travail à une seule reprise et qui ont eu pour effet ou objet de porter atteinte à la dignité de la personne ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant sont de nature à caractériser un harcèlement discriminatoire.
e/ Sur les agissements directs et indirects
On peut schématiquement distinguer deux types de harcèlement moral en pratique : ceux qui s’adressent directement à la personne de l’harcelé (violence physique, violence morale) et ceux, parfois moins visibles, qui se manifestent uniquement à travers la teneur de la tâche (présence ou même absence de tâche) confiée à l’harcelé sans le viser expressément.
On opposera ainsi les agissements directs aux agissements indirects.
Il convient d’illustrer par des exemples issus de la jurisprudence les agissements susceptibles d’être qualifiés de harcèlement moral.
1/ Sur les agissements directs
Exemple :
1. Dénigrement et brimade
En l’espèce, le salarié avait reçu des ordres et des critiques d’une salariée qui se serait comportée comme sa supérieure et lui aurait lancé des quolibets.
Elle avait aussi été destinataire de courriers « insistants » de son employeur.
La Cour de cassation a retenu la nécessité d’une réalité d’actes répétés et injustifiés caractérisant une violence morale et psychologique de nature à nuire au salarié pour pouvoir caractériser dans cette affaire, une faute imputable à l’employeur constitutive d’un harcèlement moral. Cass. Soc. 24 juin 2009, n° 07-43994.
2. Critique injustifiée
Le supérieur hiérarchique de la salariée s’était livré de manière répétée et dans des termes humiliants à une critique de l’activité de cette dernière, en présence d’autres salariés. Cass. Soc. 8 juillet 2009, n° 08-41638.
3. Humiliation publique
Propos blessants et humiliants proférés de manière répétée par un supérieur hiérarchique
Cass. Soc. 12 juin 2014, n° 13-13951.
4. Mesure vexatoire
Le salarié avait fait l’objet de multiples mesures vexatoires, telles que l’envoi de notes contenant des remarques péjoratives assénées sur un ton péremptoire propre à le discréditer, des reproches sur son « incapacité professionnelle et psychologique » et sa présence « nuisible et inutile », le retrait des clés de son bureau, sa mise à l’écart du comité directeur, la diminution du taux horaire de sa rémunération.
La Cour de cassation a retenu que ces faits ne pouvaient être justifiés dans l’exercice par l’employeur de son pouvoir de direction. Cass. Soc. 26 mars 2013, n° 11-27964
5. Tâche dévalorisante
Le fait de confier à un salarié des tâches ne correspondant pas à sa qualification, d’opérer des retenues sur salaire injustifiées et d’opérer un discrédit auprès de ses collègues. Cass. Crim. 6 février 2007, n° 06-82601
6. Agressivité
Comportement agressif du supérieur hiérarchique traduisant une volonté de restreindre les fonctions du salarié (rétrogradation) en l’absence d’explications. Cass. Soc. 24 juin 2009, n°07-45208
Autre espèce dans laquelle la Cour de cassation a relevé que les propos dénoncés par la partie civile « comment on peut engager des bons à rien comme cela » et « si vous ne savez pas porter, vous n’avez qu’à pas prendre des métiers d’homme », excédaient les limites du pouvoir de direction du prévenu. Cass. Crim. 19 juin 2018, n°17-82649
7. Tâche dépassant ses capacités
Confier au salarié de manière habituelle une tâche dépassant ses capacités et mettant en jeu sa santé. Cass. Soc. 7 janvier 2015, n°13-17602
8. Mise au placard
Salarié installé dans un local exigu, dépourvu de chauffage et d’outils de travail avec interdiction de parler à ses collègues. Cass. Soc. 29 juin 2005, n°03-44055
Ou encore, le fait de s’opposer à ce qu’un salarié reprenne ses fonctions après un transfert d’entreprise et de l’obliger à prendre ses congés afin de l’écarter de ses fonctions. Cass. Soc, 12 juin 2019, n°17-13636
9. Privation d’outils de travail
Injures à caractère racial et défaut de bureau, d’ordinateur et de téléphone au retour d’un congé maternité. Cass. Crim. 16 février 2010, n° 09-84013
10. Avertissements infondés
Salariée subissant 4 avertissements dont aucun n’est fondé et sans reproche préalable. Cass. Soc. 22 mars 2007, n° 04-48308
11. Déclassement
Salarié déclassé suite à une nouvelle classification conventionnelle après avoir fait l’objet de 3 avertissements irréguliers. Cass. Soc. 16 avril 2008, n° 06-41999
12. Pression disciplinaire
Nombreuses convocations à des entretiens préalables dans le cadre de 4 procédures disciplinaires dont 2 restées sans suite pendant une période de fragilité du salarié et une inaptitude liée à son état dépressif résultant de la dégradation de ses conditions de travail. Cass. Soc. 18 mars 2014, n° 13-11174
Arrêt de cour d’Appel
En l’espèce, un salarié assistant commercial avait été placé dans le même bureau que l’un de ses supérieurs hiérarchiques, celui-là même avec lequel il ne s’entendait pas, et avait été privé des moyens nécessaires pour effectuer son travail – son bureau meuble n’ayant ni ligne téléphonique propre, ni liaison informatique appropriée –, ce alors même que le médecin du travail avait fait état d’une dépression consécutive à une certaine pression au niveau de l’entreprise Arrêt du 27 mai 2003, de la Cour d’appel de Paris, n°02-36650,….
La Cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt rendu le 13 octobre 2003, reconnaît qu’un salarié d’une société d’ambulance a été victime de harcèlement moral, dès lors que « son employeur a répété les appels téléphoniques incessants, tant sur la ligne professionnelle que sur la ligne privée de l’intéressé, alors que l’état dépressif de ce dernier a été reconnu par un médecin et que l’employeur a été reconnu coupable des faits de trouble à la tranquillité d’autrui par des appels téléphoniques malveillants réitérés » Arrêt rendu le 13 octobre 2003 par la Cour d’appel de Grenoble,….
La Cour d’appel de Paris a estimé, dans un arrêt en date du 11 mars 2004, que « le harcèlement moral à l’égard d’un salarié est établi lorsque le responsable de l’entreprise a adopté en public, envers lui, un comportement humiliant, en le tenant à l’écart des discussions, en lui adressant des reproches devant les autres salariés, en lui transmettant des consignes par l’intermédiaire de ses collègues et en lui assignant des tâches sans rapport avec sa qualification, alors qu’est établie, d’autre part, l’ambiance déplorable entretenue au sein de l’entreprise par le comportement outrancier du responsable de l’entreprise à l’égard de l’ensemble du personnel » Arrêt rendu le 11 mars 2004 par la Cour d’appel de Paris,….
La Cour d’appel de Paris, dans plusieurs arrêts en date du 8 juillet 2003, statuant sur quatre affaires distinctes, a également retenu la responsabilité de l’employeur pour harcèlement moral, dans trois cas sur quatre.
En l’espèce, quatre employés d’une même entreprise, estimant avoir subi de la part de leur employeur des agissements répétés à caractère notamment vexatoire et humiliant à l’origine d’une dégradation de leur condition de travail, avaient agi contre ce dernier en justice.
Dans la première affaire (Nereau c/ SARL Aliénor), les agissements de l’employeur étaient les suivants : « retenues abusives sur salaire du salarié pour une grève non suivie, non-affiliation de l’intéressé à la mutuelle à la différence de ses collègues, non-paiement de la prime de fin d’année, négligence dans la délivrance d’une attestation pour bénéficier des indemnités de la sécurité sociale, obligation de remplir un cahier d’activités jugé tatillon par l’inspecteur du travail, séance humiliante de ménage obligatoire, congédiement injustifié, l’impact de ces événements sur la santé du salarié étant justifié par la production de certificats médicaux ».
Dans la deuxième affaire (Leteneur c/ SARL Aliénor), le salarié « avait subi de nombreuses erreurs sur son bulletin de paie, n’avait pu obtenir, malgré de nombreuses relances, la précision de ses horaires de prise et de fin de service, avait vu son statut de responsable d’atelier remis en question lors de l’embauche de nouvelles recrues, avait été mis en cause dans sa défense d’un salarié qu’il assistait lors de son entretien préalable au licenciement, s’était vu réclamer des mises au point sur la façon de fonctionner de l’atelier dans des délais non raisonnables et en outre, s’était vu réclamer par son employeur, devant le conseil de prud’hommes, le paiement d’une somme astronomique sans fondement ».
Dans la troisième affaire (Griesser c/ SARL Aliénor), l’employeur avait été condamné pour harcèlement moral, dès lors que « outre les difficultés occasionnées par le paiement tardif et irrégulier des salaires, dont a été victime le salarié, il a dû se battre contre la tentative de l’employeur d’introduire dans son contrat de travail une clause de mobilité au moment de son passage à temps partiel, a été obligé de se soumettre à un contrôle de son travail jugé tatillon par l’inspecteur du travail et s’est vu reprocher un abus de communication téléphonique non établi ».
Dans la quatrième affaire (affaire Zakowsy c/ SARL Aliénor) la Cour d’appel a décidé que « la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral doit être rejetée dès que le salarié invoque seulement les retards dans le paiement de ses salaires, alors que l’ensemble du personnel a subi ces retards, et fait état de tracasseries dont il aurait été victime comme ses collègues sans apporter de justifications ».
Cet attendu est intéressant car il souligne que les difficultés générales d’organisation, même si elles sont susceptibles de générer un trouble chez le salarié, doivent être distinguées du harcèlement moral qui doit être prouvé et consister en une pression spécifique sur la personne à l’instar d’un acharnement.
2/ Sur les agissements indirects
Ces ou agissements agressions sont plus délicates à établir.
Elles visent le plus souvent les cadres.
Elles peuvent résulter d’une cadence de travail démesurée, d’une diminution infime mais injustifiée et continue d’une notation sous le prétexte arbitraire d’une exigence générale plus grande, d’une mise au placard, y compris dans un bureau placard, au sens propre du terme.
Dans bien des cas, les actes de l’harceleur sont justifiés par des considérations générales d’économies, de concurrence ou de réorganisation d’entreprise.
Création : Décembre 2020 – MAJ : /